Communiqué : Projet de révision des lois de bioéthique : inquiétudes et questionnements

Alors que le gouvernement vient de dévoiler son projet de loi de révision des lois de bioéthique, que le Conseil d’État s’est prononcé le 22 juillet 2019 et que les parlementaires vont débattre du projet dès la rentrée, Advocates France, Juristes & Chrétiens, souhaite rappeler les principes fondateurs du droit français concernant les individus, principes qui risquent d’être fortement ébranlés par ce projet.

Énoncés depuis 1994 dans le chapitre du Code civil (art.16 et suivants), intitulé « du respect du corps humain », les principes fondamentaux du droit français de la bioéthique sont les suivants :

  • Le principe de protection de la personne humaine qui se décline autour des principes de protection de la vie humaine, de dignité et de primauté de la personne humaine

  • Le principe de protection du corps humain, qui s’articule autour des principes de respect du corps humain, de son inviolabilité et de son extra patrimonialité

  • Le principe de protection de l’espèce humaine, qui est assuré par le principe de l’intégrité de l’espèce humaine et du principe de précaution

S’y ajoute le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, qui implique que les éléments de l’état civil, notamment la filiation, sont indisponibles et ne peuvent faire l’objet de contrat.

S’agissant de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, nous rappelons que l’argument de la discrimination, souvent utilisé pour justifier ce choix politique est infondé en droit, la situation des couples de femmes ou des femmes célibataires n’étant pas biologiquement et médicalement similaires à celle des couples d’hommes et de femmes quant à la procréation humaine. Le Conseil d’État a tranché clairement en la matière dans un arrêt en date du 28 septembre 20181 en indiquant que « la différence de traitement […] entre les couples formés d’un homme et d’une femme et les couples de personnes de même sexe […] n’est pas contraire au principe d’égalité ».

Par ailleurs, la médecine a été conçue depuis des générations comme ayant pour vocation de rétablir et soigner les individus2. Ainsi, en matière de fertilité, les techniques d’assistance médicale à la procréation ont jusqu’alors été réservées à des couples en capacité physique de procréer ensemble, soit d’un homme et d’une femme, en conformité avec les principes fondamentaux. Ces techniques ne doivent pas entrer au service d’une médecine du seul désir, dont l’accès serait ouvert à toute personne désirant un enfant.

En outre, où est l’intérêt de l’enfant ? Quel sort souhaite-t-on créer pour les enfants à naître ? Les règles proposées concernant la filiation et la recherche des origines nous semblent créer l’illusion du respect des intérêts de l’enfant. Cette illusion, est ô combien fragile lorsqu’on retrouve les questions existentielles et identitaires induites par la recherche des donneurs de gamètes et la désillusion de la découverte d’avoir été « fabriqué » scientifiquement, hors cadre de l’infertilité médicale d’un père et d’une mère.

Si les capacités de résilience humaine sont extraordinaires, sommes-nous en droit de créer a priori des situations de souffrance pour des enfants à naître ? Le fait de réglementer les situations « dans les textes » nous autorise-t-il à créer des situations de fait aussi malveillantes ? Le désir d’enfant arroge-t-il tous les droits sur l’enfant à naître, y compris celui de lui offrir une identité brisée a priori ? Nous ne le pensons pas.

Et que dire des dérives marchandes observées dans les pays faisant de la procréation une consommation comme une autre ? Est-ce véritablement souhaitable pour l’espèce humaine ?

Si nous reconnaissons la souffrance des personnes, notamment les couples de femmes ou d’hommes ou des femmes célibataires dans l’impossibilité de faire des enfants, nous estimons que la médecine – et la société en général – ne peut palier à toutes les circonstances de vie et à tout désir. Le droit à l’enfant n’existe pas car l’enfant n’est jamais un dû et l’être humain n’est pas un objet marchand.

La médecine du désir entraînera de graves dangers pour l’humanité, en faisant croire que l’être humain, et en particulier les gamètes et les organes de procréation, sont une denrée que l’on peut commander, échanger, choisir, manipuler. Les risques d’eugénisme sont extrêmement présents dans le cadre de la PMA ouverte aux couples de femmes ou aux femmes célibataires en raison du choix nécessaire du gamète « homme », choix sans lien avec un père connu3, choix impliquant une sélection sur des critères génétiques.

De surcroît, l’argument infondé de la discrimination dans ce domaine entraînera irrémédiablement la demande des couples d’hommes mais aussi d’une manière générale de toute personne désirant un enfant, de légalisation de la gestation pour autrui.

Or la gestation pour autrui, contraire à l’ordre public français, est au sommet de la violation de l’indisponibilité du corps humain et de l’indisponibilité de l’état des personnes (la mère porteuse renonçant à la filiation avec l’enfant à naître par avance).

Prenant les corps des femmes en particulier, et les organes de procréation, comme des objets de prestations de service, sélectionnant les gamètes, et les embryons, achetant les êtres humains par contrat, la gestation pour autrui ne peut être qualifiée d’acte altruiste et consiste à un acte de traite humaine. Elle est profondément contraire à la dignité humaine, particulièrement celle de l’enfant traité comme objet du contrat de gestion pour autrui. Légitimer la gestation pour autrui socialement ou juridiquement, c’est acter la déshumanisation et la marchandisation des êtres humains.

S’agissant des embryons, nous interrogeons également le projet de loi qui semble ouvrir une pente glissante vers une recherche sur l’embryon à la merci des laboratoires de recherche et certainement des intérêts marchands des acteurs de santé ou de biotechnologie. Le cadre proposé nous semble faussement protecteur.

Dans ce débat, nous souhaitons remettre au centre les intérêts de l’enfant et de l’espèce humaine. Si le projet de loi prend le soin de détailler les conditions de la filiation ainsi que les possibilités de lever de l’anonymat des donneurs de gamètes ou d’actes ayant trait à l’embryon humain, nous pensons que l’enfant et l’espèce humaine y sont malmenés, sans humanité. Contrairement à ce que dit l’exposé des motifs, la France semble prête à s’incliner au rang des États les moins protecteurs et accepter ce nivellement par le bas au prix d’un choix simplement politique, en tout désaveu des principes juridiques et éthiques protecteurs maintenus jusqu’alors. Nous pensons que la France peut au contraire porter un autre horizon bioéthique au sein des nations.

Si le droit doit s’adapter aux évolutions de la société, il constitue également un cadre protecteur par sa constance sur les principes fondamentaux définissant notre humanité. Il s’abstient en ce sens de toute passion. Nous portons la responsabilité de conserver une certaine clairvoyance. La Convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’Homme, de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, dont la France est signataire indique en son article 2 : « L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science. » Ainsi la demande sociale n’est-elle pas toujours juste et il convient parfois d’y résister pour préserver l’intérêt et le bien de l’être humain.

Le progrès technique n’est pas toujours synonyme du progrès pour l’humanité.

Le droit n’est pas au service de tous les désirs humains mais il offre un cadre protecteur des intérêts de tous.

Retrouvez notre rapport Révision des lois de bioéthique en 2018 : perspectives juridiques, enjeux et proposition : https://advocatesfrance.org/revision-des-lois-de-bioethique-en-2018/ 

1 CE, 28 sept. 2018 req. 421899

2 Extraits du Serment d’Hippocrate : « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »

3 Sauf dans le cadre de la PMA d’une femme seule, avec les gamètes d’un homme décédé, quand le projet parental et de PMA serait dores et déjà engagé.